« Au nom du contrôle, un patron peut bloquer la créativité, tarir la motivation et susciter des rancoeurs ou des résistances. Mais il existe des méthodes de contrôle qui stimule la créativité, développent la motivation, entraînent une participation profonde tout en laissant aux mains du responsable toute l’autorité dont il a besoin. »
C’est en ces termes que s’exprimait David Emery, à la fin des années 60, au début de son livre The Compleat Manager. Cinquante plus tard, ces propos qui ont toujours la même véracité, soulignent la difficulté à trouver un équilibre intelligent en matière de contrôle à l’intérieur de l’entreprise.
La multiplicité du contrôle, à tout instant et à tout propos le rend insupportable dans l’exercice quotidien du travail. Un autre handicap sérieux pour obtenir un contrôle sérieux tient au nombre disproportionné des « pseudo-contrôleurs » qui interférent sur un sujet déterminé par rapport au nombre réel d’acteurs opérant sur le terrain. Des cas pathologiques d’entreprises qui se prétendent en bonne santé permettent de recenser sur deux à trois niveaux consécutifs de responsabilité jusqu’à trois ou quatre intervenants pour un contrôlé, auxquels s’ajoute la hiérarchie directe surabondante !
Confusion à propos du mot « contrôle »
A partir du moment où chacun reconnaît la fonction hiérarchique et la notion de responsable, peu de gens contestent dans l’absolu le besoin de contrôle. Dans la pratique l’accueil du contrôle est plutôt mal ressenti. L’incapacité de l’entreprise à en faire un usage intelligent et à en démontrer dans la plupart des cas, l’imprévisible nécessité l’a déprécié aux yeux de beaucoup. La confusion qui règne sur la signification du contrôle et sur l’usage qui en est fait est sans aucun doute parmi toutes les faiblesses, l’une des plus graves que connaisse l’entreprise française encore aujourd’hui.
On retrouve cette confusion d’interprétation dans le « Petit Larousse » lorsque l’on se réfère aux sens attribués au mot « contrôle » : 1. Vérification, inspection de la régularité d’un acte, de la validité d’une pièce ; 2. Marque de l’Etat sur les ouvrages d’or, d’argent, de platine ; 3. Vérification de l’état d’un produit ou d’une machine, d’appareils ; 4. Maîtrise de sa propre conduite, de la manœuvre de véhicules ; etc… Comment pouvait-on imaginer qu’il en fut autrement après plus d’un demi siècle de taylorisme, au milieu d’une vétusté bureaucratique qui ne touche pas uniquement les « grands ensembles publics ». Le secteur « privé » n’a rien à leur envier.
Nos amis « anglo-saxons », en apparence au vocabulaire jugé moins riche et moins précis, sont sur ce point beaucoup plus clairs. La hiérarchie des sens qui est proposée par le Harrap’s au mot « control » permet de lever aussitôt toute ambiguïté d’interprétation : 1. Autorité, direction, à la tête d’une affaire ou d’une entreprise ; 2. Maîtrise, conduite, équilibre ; 3. Commande d’un mécanisme ; etc… A la lecture de ces définitions on serait tenté de classer le mot « control » dans la série des faux-amis ! Et pourtant, il n’en est rien. Il s’agit simplement d’une différence profonde de mentalités et de comportement dans l’action.
En France, l’aspect inquisiteur, limité et borné domine encore le sens du mot « contrôle ».Cela met la personne contrôlée dans une situation d’infériorité par rapport au contrôleur. En position de force, ce dernier confond très vite son rôle et sa finalité. La procédure devient une fin en soi. Le responsable contrôleur papivore a de belles années devant lui. Résultat : le moindre contrôle, de quelque nature qu’il soit, dès lors qu’il ne touche pas à la sécurité des personnes et qu’il n’implique pas directement le contrôlé, est difficilement supporté. Il témoigne de l’incapacité d’un système à vaincre ses propres contradictions. C’est là que l’excès d’un contrôle permanent, mal expliqué et surabondant est pernicieux. L’infomanie hiérarchique fait partie de ces contrôles insupportables. Avec Internet, SMS et mails en surnombre n’ont pas forcément arrangé la « donne ». Ne sortant plus de leurs bureaux, certains sont figés sur leur(s) micro(s). Ils refont plusieurs fois par jour le même circuit fermé, posant les mêmes questions aux mêmes personnes pour obtenir les mêmes réponses. Les contrôlés ont coutume d’appeler cette forme de surplace en circuit fermé : la technique de la « cage d’écureuil ».
Les vertus de la maîtrise de l’action
Le contrôle dans le sens anglo-saxon du terme dépasse, et de loin, l’examen du fonctionnement et de l’activité. Il englobe le suivi de l’organisation des relations entre individus, de leur adéquation aux tâches, de la transmission de l’information. C’est aussi l’assurance de la bonne connaissance de la répartition des responsabilités et de la compréhension des montages structurels mis en place. Il s’enrichit d’une écoute attentive et patiente des retours des contrôlés. L’attachement au détail n’est pas synonyme de frein. Le responsable doit sentir au travers du contrôle comment il peut obtenir le meilleur rendement de la part de son personnel au milieu des contraintes en lui préservant la plus grande liberté possible d’initiative. La compétitivité requiert de gérer avec intelligence tous les problèmes d’interfaces et de frontières. Ils doivent être appréhendés avec franchise et détermination dans un esprit de juste équilibre.
Toute action de contrôle pour être comprise admise se doit d’être accompagnée de conclusions et de décisions sur la qualité, les acquis, les manques et l’orientation de la poursuite du travail. C’est une occasion supplémentaire de faire ses remarques, d’exprimer ses inquiétudes comme ses satisfactions à l’égard des actions de ceux qui sont sur la sellette. Cela peut aller de modifications mineures à des changements importants. En général, en matière de suivi interne de contrat de résultats, la pratique de l’autocontrôle qui s’appuie sur un échange systématique informel, un dialogue permanent, une communication libre à tous les niveaux, assouplit la démarche qui perd son côté stressant parfois humiliant sans en affecter l’efficacité.
Conclusion
Le contrôle dans l’action du manager va dépendre de la façon dont il est mis en place. Il doit faire partie des gestes naturels que perçoit le personnel dans son travail au quotidien. La rigueur et la fermeté sur l’essentiel, associées à une souplesse raisonnée sur les détails, rejetant lourdeur et bureaucratie, sont les meilleurs garants de l’équilibre et du dynamisme de l’entreprise dans un contexte économique concurrentiel contraint et instable. En outre, le sentiment encouragé de participer activement à la réalisation des objectifs de celle-ci et à sa réussite procure à l’individu une impression légitime d’indispensabilité qui le responsabilise. Cela ne ferme pas pour autant les portes d’un contrôle actif, dans le respect sans faille des règles du jeu établies, quels que soient les outils et les méthodes employées. N’oublions pas que le manager assure la maîtrise du contrôle au quotidien, tandis que le leader nous transpose dans le futur. Chacun doit être dans son rôle, mais le laisser faire en la matière n’est certainement pas la façon d’agir…
J.M.