S’il est encore « a priori » possible de définir, de protéger et de contrôler efficacement les frontières terrestres, ainsi que les points d’entrée par les voies aériennes, cela est désormais impossible pour ce qui concerne les accès maritimes se trouvant sur la façade sud de l’Union européenne.
Des centaines de milliers de réfugiés et de migrants économiques rejoignent les frontières de l’Union européenne par des voies maritimes, souvent au péril de leur vie, car ils n’ont pas d’autres accès pour y parvenir. Cela exprime la détresse de millions de personnes fuyant des zones de conflits ou simplement à la recherche d’une vie meilleure.
Cet article se concentre uniquement sur le statut juridique des frontières de l’Union, mis en évidence à l’occasion de ces évènements, pour aboutir à une conclusion simple : quel que soit notre jugement nous ne pouvons pas nous soustraire aux obligations auxquelles nous nous sommes engagés par l’enchainement d’une dizaine de conventions ou traités.
Pour mieux structurer le propos, l’article distingue les instruments internationaux applicables aux personnes réfugiées et migrants transitant par la Méditerranée centrale ou la Mer Egée.
Méditerranée centrale
Le premier texte applicable est, dans l’ordre chronologique, la Convention de Genève du 12 août 1949, et le protocole additionnel en date du 8 juin 1977, qui traite dans son article 51 de la protection des victimes se trouvant dans les zones de conflits armés. Ce protocole détaille les éléments constitutifs de cette protection, qui ont pour effet principal, pour ce qui concerne notre propos, d’interdire de refouler les personnes civiles fuyant les combats vers les zones de conflits. La clause de non-refoulement entraine la nécessité d’assurer le débarquement des personnes secourues en mer en « lieu sûr » et donc concrètement sur le sol européen.
La Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, s’applique aux réfugiés arrivés sur le sol européen, et sera donc analysée dans un autre article.
Les signataires de la convention - source : UNHCR
Deux conventions internationales de l’OMI (Organisation maritime internationale dépendant des Nations Unies) traitent de la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS, 1974) et de la recherche et du sauvetage maritime (Convention SAR, 1979).
La Convention des Nations Unies de Montego Bay, instaurant le droit international de la mer de 1982, est aujourd’hui le principal texte applicable, qui regroupe différentes dispositions des conventions précédentes. Le droit de la mer ne précise pas de juridiction spécifique en cas de manquement aux obligations de porter secours aux navires en détresse, mais son article 92 (dont l’intention initiale était de protéger les marins des navires de poursuite devant des tribunaux étrangers) indique que la juridiction compétente est celle de l’Etat du pavillon du navire.
Pour être plus complet, il faut mentionner, la Résolution 1821 (2011) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en date du 21 juin 2011, qui rappelle à tous les Etats membres « qu’ils ont l’obligation tant morale que légale de secourir les personnes en détresse en mer sans le moindre délai » ainsi que le principe de non-refoulement.
Les migrants quittent les côtes sur des embarcations de fortune qui sont qualifiées, dès le départ, de ‘navires en détresse’, selon l’interprétation du HCR (Haut comité des Nations unies aux réfugiés). Les navires battant pavillons des Etats signataires des conventions (à l’exception notable des Etats-Unis – non signataires de la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés et de la convention de 1982 sur le droit de la mer), dès qu’ils sont prévenus, doivent alors se détourner pour porter secours. Il s’agissait, jusqu’à une date récente, essentiellement de la ‘Marina militare’ italienne (opération Mare Nostrum). Les opérations de sauvetage bénéficient à présent de l’assistance de l’agence européenne Frontex au travers de l’opération conjointe Triton, qui a été lancée le 1er novembre 2014 en Méditerranée centrale pour venir en aide à l’Italie.
Les Etats concernés par l’Espace Schengen - source : Wikipédia
Les personnes secourues en mer doivent nécessairement être débarquées dans un Etat de l’UE. Il faut retenir que l’obligation de sauvetage « sans délai » interdit tout contrôle et filtrage des identités en mer.
Mer Egée
Pour comprendre l’origine du problème, il est nécessaire de replacer les trois traités signés en 1923, 1979 et 1997 dans un contexte historique.
Le traité, faisant suite au Traité de Versailles de 1918, a réglé définitivement le conflit entre l’Empire ottoman et les alliés occidentaux dont la Grèce. Il mettait fin à de nombreux génocides et déportations massives de population de part et d’autre. Ce traité a donné satisfaction à la Grèce en faisant de la Mer Egée un ‘lac’ grec, puisque toutes les grandes iles à proximité immédiate de la Turquie continentale (Limnos, Lesbos, Chios, Samos) et d’autres plus petites sont depuis cette date des territoires grecs à moins de 10 kms de la Turquie.
- Traité d’adhésion de la Grèce à la CEE
Le traité a été signé le 28 mai 1979, pour une entrée de la Grèce dans la CEE le 1er janvier 1981. La CEE est depuis devenue l’Union européenne en 1993.
Le traité du 2 octobre 1997, instaurant l’Espace Schengen à l’échelle européenne, a achevé le processus en faisant de toutes les iles mentionnées plus haut des zones de cet espace.
Quelques kilomètres suffisent pour pouvoir passer du Moyen-Orient et de l’Asie à l’Espace Schengen. Si ces transferts font encore trop des victimes (les distances à franchir permettant l’usage de simples radeaux pneumatiques), cela simplifie le trajet initial méditerranéen plus périlleux, y compris pour les migrants provenant de l’Afrique du nord ou sub-saharienne.
La distinction entre réfugiés et migrants économiques est réalisée dans les centres d’accueil des iles grecques dans des conditions épouvantables de files d’attente, de disponibilité d’interprètes et d’experts des zones concernées (Frontex). Le contrôle réel se trouve de fait reporté aux étapes suivantes du parcours vers les pays cibles (Allemagne, Royaume-Uni via Calais, Danemark, Suède et Finlande).
Conclusion
Après la traversée des espaces maritimes, les réfugiés auxquels se mêlent les migrants économiques abordent donc à Lampedusa, en Sicile ou dans les Pouilles, ainsi que dans les iles grecques. En conséquence, ouverte sur son versant sud de l’Espace Schengen, on peut affirmer que l’Union européenne n’a pas de frontière maritime.
Les Etats membres tentent de réagir dans l’urgence à cette situation avec la création de ‘hotspots’ aux points d’entrée de cet espace pour identifier et enregistrer les personnes pouvant prétendre au statut de réfugié.
Néanmoins cette politique ne pourra pas s’opposer aux droits des réfugiés tels que définis par les conventions internationales. C’est ce que nous avons voulu expliquer dans cet article. Dans tous les cas, cela ne tarira pas le flux de millions de réfugiés et migrants qui arriveront dans l’Union européenne au cours des prochaines années.
Georges Seguin