L’esprit européen, qui est à l’origine du processus auto-organisationnel décrit dans la première partie (1/2), n’entraine plus l’adhésion de la majorité des citoyens confrontés à des structures toujours plus complexes. Nombreux sont ceux qui sont dans l’incapacité d’apprécier la pertinence des différentes structures et organisations européennes d’autant qu’on est bien incapable de leur en expliquer le rôle.
Cela a laissé place à la surenchère des égoïsmes nationaux, chacun cherchant à tirer le meilleur profit des avantages et des subventions de l’Union. Pour renforcer notre position sur cette « entropie » générée, par le « système » qui est sensé la combattre, nous nous proposons d’en citer quelques exemples…
La véritable gouvernance des projets industriels
La réussite de l’aérospatiale en Europe résulte en réalité de coopérations précédentes entre un groupe très restreint d’Etats et donc de décideurs. On aurait tendance à l’oublier. Airbus et Arianespace sont issus d’une initiative franco-allemande, rejointe par le Royaume-Uni.
Airbus : une réussite industrielle et commerciale entre Etats décideurs – source : Midi Libre
Dans un contexte européen, la multiplication inévitable du nombre des décideurs crée la paralysie du système de gouvernance, comme le montre le programme Galileo. La constellation complète de satellites du projet de GPS européen devrait être opérationnelle en 2021, soit avec un retard de 13 ans et un coût démultiplié. Reste un problème non résolu de fonctionnement des horloges !
Dans un cadre identique, le programme d’avion de transport militaire A 400 M a dû intégrer les exigences opérationnelles de 7 Etats et ‘le juste retour’ industriel cher aux Européens.
Les grandes réussites incontestables européennes (ESA, CERN..) concernent des projets hautement scientifiques dont la gouvernance n’est pas confrontée comme l’aéronautique au verdict du ‘marché’ concurrentiel (comment établir les coûts et les délais objectifs d’une capsule sur une comète ou de la découverte du boson de Higgs).
La politique de l’élargissement vers l’Est
L’élargissement progressif vers l’Est, voulu par la Commission et accepté par le Conseil à partir de 2003, avait pour objectif de sécuriser et de fixer les pays de cette zone à l’Europe après la disparition du Pacte de Varsovie. Depuis, cinq autres pays ont obtenu le statut de « Pays candidats » (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro et Serbie, sans oublier la Turquie et le futur Kosovo, avec les crédits correspondants). En toute logique, il s’agirait donc à terme d’une Europe des 34-1 (avec la sortie du Royaume-Uni), impossible à gouverner.
5 pays candidats officiels à l’accession à l’Union européenne – source : Le Figaro
La tentation pourrait être alors de transformer l’Union en une simple zone de libre échange (mais à quoi serviraient les institutions Bruxelloises) et de repartir dans un processus d’intégration à partir d’un ‘noyau dur’ (mais que diraient les exclus). Cet élargissement pose aussi le problème de la définition de la frontière orientale de l’Union, sachant que l’UE ne possède déjà plus de frontière maritime vers le Sud. En provenance de Lybie, la situation en Italie devient plus qu’inquiétante. A l’Est, elle est avant tout surtout dépendante du « bon-vouloir » de la Turquie.
La libre circulation des personnes et des biens
Il était prévisible que cet accord entraînerait une concurrence féroce entre pays disposant de coûts salariaux et sociaux très différents. L’accord a déporté les sites de production automobile vers les pays de l’Est. Les productions ferroviaires et électriques en Pologne bénéficient massivement de l’apport de la main d’œuvre ukrainienne encore meilleur marché. Les fonds structurels européens ont été utilisés pour créer ces usines modernes. Ces mêmes pays de l’Est et le Portugal s’opposeront naturellement à la modification de la directive ‘travailleurs détachés’ qui concurrence directement les travailleurs français. La France a souhaité une renégociation, mais cela paraît peu probable à court terme car il faudrait l’accord des 27.
Les « Migrants » à l’ordre du jour
Le système résultant des traités internationaux et de la supervision du Conseil de l’Europe a été appliqué à l’accueil des migrants provenant d’Afrique et d’Asie. Cela se réfère aux ‘valeurs de l’Europe’. Mais après l’accueil de ces migrants par Angela Merkel, la Commission a proposé un plan de répartition, qui a été rejeté par la Pologne, la Hongrie la Slovaquie et la Tchéquie, car préfigurant un plan sur le long terme. La Commission a introduit un bras de fer juridique, mais ces pays risquent probablement d’être alors tentés de quitter l’UE.
A titre d’exemple, les électeurs britanniques ont souhaité sortir de l’UE sur ce seul motif malgré les risques économiques induits. Le gouvernement britannique semble suivre cette décision souveraine. Le problème de Calais se trouvera toujours posé.
Et sur le plan monétaire et de la fiscalité ?
Sur le plan monétaire, l’Irlande et le Luxembourg (mais également les Pays-Bas) n’abandonneront jamais les privilèges accordés aux multinationales pour accueillir massivement les sièges sociaux et pour fiscaliser les profits consolidés. La France qui possède une administration et un système redistributif importants (57% du PIB) pourra difficilement continuer à affronter cette concurrence interne européenne.
Une monnaie unique adoptée par 19 pays sur 28 – source : L’Express/L’Expansion
La réponse d’une large partie de la classe dirigeante pour rétablir ces déséquilibres est ‘plus d’organisation de l’Europe’ : parlement de la zone euro (encore un !), harmonisation du coût du travail (un vœu pieux), des prélèvements sociaux et fiscaux, qui ne pourraient que se faire vers le bas compte tenu de la moyenne européenne…. bonne chance.
Quant à l’euro, monnaie unique ou monnaie commune, le débat n’est pas terminé. Mais dans la confusion actuelle, il est préférable de prendre du recul et de jeter un coup d’œil sur une analyse toujours à l’ordre du jour, en lisant « Une Europe sans euro ou un Euro sans europe » de Jacques Martineau pour se faire une opinion…
Pour conclure…
L’UE est bien un système auto-organisationnel qui s’est construit dans le même temps où réapparaissaient des prétentions et des intérêts divergents (voire incompatibles) des Nations et le fait que les citoyens ne pouvaient plus adhérer à des structures toujours plus complexes. De fait, ils sont désarçonnés et l’adaptation de ce système à un changement brutal (et toujours présent) de la conjoncture économique, militaire ou migratoire serait impossible.
Oui, si l’Europe est une civilisation, un héritage culturel, elle a su créer un espace de paix. Le destin de la France est bien entendu en Europe. Mais dans quelle Europe ?
Georges Seguin