Diverses fractures sont apparues en cinq ans au sein de l’UE, dues pour l’essentiel au problème des migrations (partie 1), à l’impossible harmonisation sociale et fiscale (partie 2) et à l’Elargissement sans fins des confins Est et balkanique (partie 3). Ces fractures résultent des réactions (parfois extrêmes) de la part des peuples européens, qui ont entrainé une scission durable de l’UE en cinq plaques tectoniques. C’est l’objet de 4ème et dernière partie.
Les cinq plaques tectoniques de l’UE – montage : Club Espace 21
Le Royaume-Uni
Le BREXIT a repoussé le Royaume-Uni derrière la protection naturelle du Channel (qui a été efficace contre Napoléon et Hitler). Pour les Britanniques, l’UE se résume à l’arrivée des migrants à Calais et Sangatte et à un effort budgétaire jugé excessif (I want my money back !). Si le processus devait arriver à son terme, il resterait les particularités de l’Irlande et de l’Ecosse.
La plaque de l’Europe latine
Il s’agit de cinq Etats (Belgique, Espagne, France, Italie, Portugal) qui représentent à eux seuls 44% de la population de l’UE (196 millions de résidents sur les 446 millions de l’UE 27 – donc hors RU). Les habitants (à l’exception des flamands) partagent des langues latines. Pour la quasi-totalité, ils ont des cultures semblables. Ces Etats sont soumis à des différents internes (généralement Nord-Sud), qui résultent des politiques économiques laxistes, que peuvent résumer deux indicateurs : la dette publique et le taux de chômage (cf. ci dessous). Tous sont par ailleurs largement ouverts aux flux migratoires, dès l’instant où la Méditerranée n’est plus considérée juridiquement comme une frontière.
Dettes publiques et taux de chômage en Europe latine – source : Eurostat
La Belgique connait des tensions linguistiques, qui masquent des différences économiques. L’Espagne est neutralisée par la sécession de facto de la Catalogue.
Fracture nord-sud italienne entre la Ligue et M5S
En Italie, le conflit entre les habitants du Nord (riches), qui ne veulent plus payer pour ceux du Mezzogiorno (pauvres), aggravé par l’afflux massif des migrants (actuellement 800.000), a conduit à l’arrivée en tête des récentes élections du parti « Mouvement cinq étoiles » - M5S (antisystème) et de la « Ligue » (ex Ligue du Nord).
Ces deux partis sont tombés d’accord pour former un gouvernement plutôt eurosceptique. Après avoir refusé la première présentation du gouvernement présenté, le Président italien Sergio Mattarella avait envisagé de proposer à Carlo Cottarelli, ancien responsable au FMI de constituer un gouvernement. Celui-ci ayant renoncer, c’est à nouveau Guiseppe Conte qui l’a présenté. Le Président accepte ses nouvelles propositions.
La France et le poids de son modèle social
L’économie française est écrasée par le poids d’un modèle social qualifié d’unique en Europe. Les dépenses publiques représentent 57% du PIB en France contre 45% en Allemagne. Ce système est considéré comme indispensable au maintien de la « paix civile » dans les périphéries urbaines et certains des départements, ce qui est le premier objectif des dirigeants. Mais ce système induit des conséquences en termes de charges sociales et d’imposition, d’abord sur l’industrie. L’industrie manufacturière française s’est effondrée : elle ne représente plus à présent que seulement 10 % du produit intérieur brut (PIB), contre 20,3 % en Allemagne, alors que la production manufacturière italienne est désormais supérieure à celle de la France.
Conscient des problèmes spécifiques aux cinq pays, mais ne pouvant pas bénéficier de l’appui de l’Espagne et de l’Italie neutralisées, le président français a proposé un vaste plan de réformes de la zone euro : parlement de la zone euro, ministre des finances, budget autonome pour l’investissement, fonds monétaire européen….
La plaque de l’Europe du Nord
Il s’agit de peuples de langues « germaniques » (à l’exception du finlandais) et de confession catholique ou Luthérienne, répartis sur six Etats (Danemark, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Finlande et Suède) qui représentent 27% de la population de l’UE27 (122 millions sur 446 millions).
Ces Etats ont des politiques budgétaires strictes (voire excédentaires) qui respectent les règles de l’UE et qui exhibent des dettes publiques contrôlées. Deux Etats sont des paradis fiscaux assumés (Luxembourg et Pays-Bas) le troisième étant l’Irlande. Ils partagent la même volonté de ne jamais avoir à financer les politiques économiques laxistes des pays latins « pays du Club Med » notamment par une mutualisation des dettes.
La chancelière allemande (contrôlée à présent par son parti, la CDU) ne peut plus soutenir le président français de la même façon. Le futur président de la BCE devrait être un Allemand. Et pour finir, le 6 mars 1018 plusieurs ministres des finances de l’Europe du Nord (plus l’Irlande) se sont opposés au plan français. L’Europe latine devra donc se réformer seule pour rétablir son économie face à une montée dans le même temps de gouvernements populistes qui s’expriment de plus en plus violemment contre les réformes.
En lançant un message d’accueil aux migrants en 2015, Angela Merkel est à l’origine du fossé creusé entre les Etats « défenseurs des droits des réfugiés » à l’Ouest et ceux du Groupe de Vissegrăd et de l’Initiative des Trois mers à l’Est. L’extrême droite a par ailleurs progressé au Bundestag, mais également aux Pays-Bas, au Danemark et dans les pays scandinaves.
Groupe de Višegrad et de Initiative des Trois mers
Le Groupe de Višegrad, dans sa forme actuelle établit à partir de 1991, constitue un ensemble cohérent de 64 millions d’habitants, ce qui le met en équivalence avec l’Allemagne , la France et l’Italie. Il a fait savoir en 2016 sa ferme opposition à l’accueil des migrants en rejetant l’idée, imposée par la Chancelière allemande, d’un système de répartition obligatoire des migrants. En représailles, l’UE a introduit un recours devant la Cour de justice (pour violation des Traités). En mars 2017, ce Groupe rejette à nouveau les quotas dénonçant le « diktat » de l’UE, et, en juillet 2017, enjoint à l’Italie « d’endiguer les vagues de migration irrégulière ».
Un groupe de 12 pays de la Baltique à la mer Noire et à l’Adriatique – source : wikimédia
La Commission demande d’inclure dans le prochain budget européen 2021-2027, une clause d’attribution des crédits de la « politique de cohésion » en fonction du respect de l’Etat de droit et de l’acceptation de quotas de Migrants. En agissant ainsi, la fracture Est-Ouest intra-européenne ne peut que s’accroître. Mais c’est ignorer que le budget 2021-2027 sera voté par le futur parlement européen qui sera élu en mai 2019, et qui pourrait être majoritairement « populiste » et « eurosceptique ».
Le groupe de Višegrad est au centre de l’Initiative des trois mers, qui rassemble douze pays de la Baltique à la mer Noire et à l’Adriatique, dont la Roumanie, la Bulgarie, l’Autriche, les Pays Baltes et la Slovénie. Sa population totale est de 112 millions d’habitants, soit 25% de la population de l’UE 27. Toutes les élections récentes ont conduit à des coalitions droite et extrême-droite, notamment en Pologne, Hongrie, Autriche et République Tchèque.
La plaque Grecque et des Balkans occidentaux
Cette plaque est composée de la Grèce et des candidats à l’Union. Cinq Etats sont officiellement candidats à l’adhésion (Albanie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Turquie) et deux sont candidats potentiels (Bosnie-Herzégovine et Kosovo). L’UE compterait alors 34 membres et plus de 600 millions d’habitants (bien que personne ne croit à l’adhésion de la Turquie). Elle serait totalement ingouvernable sans modification radicale des structures de l’Union.
Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro, Serbie – source : Avenir des Balkans
Lors d’une réunion les 15-16 février derniers sous présidence Bulgare, les Etats ont affirmé que l’adhésion des Balkans occidentaux (donc sans la Turquie) « est désormais une priorité pour l’UE ». L’objectif est de stabiliser durablement cette zone en évitant les guerres inter-ethniques. Mais peu d’Etats sont réellement favorables à une adhésion rapide (Hongrie, Slovaquie et République Tchèque).
Comment rester optimiste ?
L’UE navigue au gré des coalitions d’égoïsmes économiques régionaux, de l’approche opposée du problème des migrants entre les Etats « défenseurs des droits des réfugiés » à l’Ouest et ceux du Groupe de Višegrad et de l’Initiative des Trois mers à l’Est, à peine sortis des occupations séculaires russe, allemande, autrichienne et ottomane, et du vertige que procure la perspective d’un Elargissement sans fin. Les élections européennes de 2019, qui trancheront ces questions, devraient refléter l’arrivée déjà actée au sein des parlements nationaux de la droite « dure voire extrême ». D’ici là, le débat se concentrera sur le choix du ‘plus de fédéral’ ou ‘plus de national’, mais sans décisions.
Il faut mentionner encore que l’UE, premier géant économique, reste un nain militaire dans un « Monde de brutes », les forces militaires française et britannique, qui sont les seules crédibles, ne pouvant garantir la sécurité de l’UE.
Reste toutefois intacte l’idée de l’appartenance commune à une civilisation multimillénaire de racine chrétienne, qui devrait, face à un danger commun, fédérer tous les peuples européens (y compris la Russie).
Georges Seguin