Un exercice difficile. Pour trouver des éléments clairs de réponse à cette question, nous nous sommes référés à une étude détaillée de Ghislain Benhessa, appuyée sur les principaux jugements des tribunaux nationaux et européens. Il retrace l’histoire du concept d’« État de droit » et montre comment on est passé à la primauté du « droit sur l’État ». C’est la raison pour laquelle. Il importe de mettre les points sur les « i ». Pour expliquer ce concept flou et ses conséquences, il ne faut jamais confondre l’« État de droit », censé être au bénéfice de ses citoyens, c’est-à-dire des ses électeurs, avec le « droit de l’État », la marge de manoeuvre du "Pouvoir", c’est-à-dire l’« autorité de l’État » .
L’origine du concept…
Dans son livre « Le totem de l’État de droit », Ghislain Benhessa (1) rappelle que c’est en 1215 que la Grande Charte, arrachée au Roi Jean sans Terre, proclame les limites de son pouvoir. L’article 39 précise que désormais : « aucun homme libre ne sera arrêté, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens ou déclaré hors-la-loi ou exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit, sans un jugement légal de ses pères conformément à la loi du pays. » Ce sera le début pour les Anglo-saxons de l’importance donné au Parlement, élu par le peuple pour établir la loi (Rule of Law), la modifier ou la retirer. L’« État de droit » doit être interprété comme la règle de protection du droit du peuple.
La signature de la Grande Charte du Roi Jean sans Terre, en 1215 – montage CE21
Avec le temps, la lecture et l’interprétation sont très différentes. Après la guerre, la France va s’emparer progressivement de ce concept pour se rebâtir une image, face aux États-Unis qui ont intégré ce concept depuis leur indépendance. Au départ, les responsables politiques n’en faisaient pas cas compte tenu de l’« Histoire » de la France, des origines de sa culture, judéo-chrétienne, de la révolution, reconnue comme la patrie des droits de l’homme, un message universel, etc. La Constitution de la Vème République, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État suffisaient pour garantir le droit des citoyens. Ghislain Benhessa le mentionne : « Ni de Gaulle, ni Pompidou ne l’ont sorti de leur chapeau » On ne parlera d’État de droit comme référence qu’après 1992.
Dérive de l’« État de droit » vers un « État de droit » souverain à l’européenne
Sans cesse les politiques, majorité ou opposition, le gouvernement et l’Exécutif nous assaillent avec les mêmes slogans, les mêmes phrases, les mêmes mises en garde et les mêmes recours. Parler des « valeurs de la République » et de « bonne conduite républicaine » fait partie du langage courant. C’est d’une référence permanente à l’« État de droit ». Ces recours sont rapportés et commentés par les journalistes et les magistrats donnant lieu à une confusion masquant la réelle interprétation.
Approbation de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Paris 1789) – montage CE21
En fait, c’est à partir de 1992, après la signature du traité de Maastricht que la notion d’« État de droit » réapparait. Jusqu’à cette date, chaque nation s’appuie sur ses propres règles, sa constitution et autres instances. La référence, c’est la Nation. L’existence d’un « État de droit » est sous-entendue pour les douze pays signataires. Le traité est basé sur trois piliers fondamentaux, les Communautés européennes (États nation), une politique étrangère et de sécurité commune et une coopération policière et judiciaire en matière pénale. L’arrivée de l’euro et ses conséquences économiques vont bouleverser l’équilibre de l’alliance.
En 2005, le refus du référendum sur l’Europe est contourné en 2008 par le traité de Lisbonne. Dès lors, l’Union européenne s’attribue le concept d’« État de droit » pour habiller son souhait de contrôler les initiatives des États-nation sous le prétexte d’harmoniser l’ensemble des règles pour les rendre compatibles entre États signataires. La jurisprudence et la promulgation de lois européennes vont petit à petit créer son propre « État de droit ».
Un « État de droit » européen à caractère fédéral au service l’Exécutif - montage CE21
Sans constitution, sans organe de contrôle (un parlement sans initiative législative), c’est la Commission européenne (1995) composée de membres désignés (non-élus) qui gouverne. Il faut aussi savoir que la Cour de Justice européenne (1952) et la Cour européenne des droits de l’Homme (1959) sont indépendantes mais servent de recours. L’ensemble de la gouvernance n’a rien d’un État. La Commission agit pour s’accaparer « une souveraineté législative européenne et supra nationale ». De fait, elle a pour objectif la mise en place d’une Union fédérale européenne, n’ayant aucune légitimité qui fait fi de l’existence de l’« État-nation ».
Les conséquences du détournement de l’objet
C’est ainsi que tous les pays, membres de l’Union, se doivent désormais d’adapter leur législation et leurs règles à celles de cet « État de droit » européen. Comme le souligne à nouveau Ghislain Benhessa à propos de ce détournement organisé, que « la domination présente et future de l’« État de droit » européen tend à masquer les identités nationales ». Le tout au nom d’infaillibles recommandations : « qui oserait se dire contre la paix universelle pour la discrimination contre l’égalité ou contre la défense des minorités… »
La primauté européenne restreint la capacité d’action et divise les 27 - montage CE21
De ce fait, en se conformant au diktat européen, sous le regard de la BCE, c’est une soumission législative pour répondre au mieux à toutes les exigences minoritaires de l’UE concernant l’économie, l’énergie, l’écologie, la politique migratoire et de défense. Tout égarement ou refus d’obtempérer est traité devant les Cours européennes de Justice et des Droits de l’Homme.
On est loin de l’esprit et de la raison d’être de « État de droit » destiné avant tout à protéger les citoyens et préserver la culture de chaque Nation. Ceci oblige le gouvernement à des tergiversations permanentes pour faire respecter le droit des citoyens, d’autant plus que le la loi est souvent ignorée, voire non appliquée.
En France, l’« autorité de l’État » se réduit progressivement, remplacée par la référence aux « valeurs de la République » qui tient le haut du pavé. L’objet de l’« État de droit » européen confirme de ce fait sa primauté contre l’ « État de droit » des Nations. C’est un nouveau pas vers une Union fédérale des États qui ne dérange pas l’Exécutif...
Jacques Martineau
(1) Le Totem de l’État de droit, Ghislain Benhessa, L’Artilleur, 2021