Les résultats de la troisième conférence sociale qui s’est tenue les 6 et 7 juillet derniers ne sont certes pas à la hauteur des espérances. Mais celle-ci a eu lieu. Indépendamment de l’issue des débats et de la feuille de route fixée par le premier ministre Manuel Valls, c’est surtout sur l’esprit de la conférence et sa participation que se sont fixés les critiques et les commentaires.
Pour dialoguer et parler de conférence sociale faut-il encore que tous les acteurs invités soient convaincus de son intérêt. L’ensemble était très mal engagé. Une menace de boycott du Medef, un pas de recul du chef du gouvernement, pour éviter une « mal donne ». Il est illusoire de croire qu’en deux jours une table ronde va régler tous les problèmes. Il ne faut pas être naïf. Du coup sur deux points sensibles, les syndicats de salariés ne pouvaient qu’être mis devant des orientations et décisions non discutables et a priori. Quatre syndicats ont quitté la conférence sociale : CGT, FO, FSU et Solidaires. Les postures médiatiques sont-elles une réponse adéquate aux problèmes du chômage et de l’emploi ? A l’évidence, non. A l’inverse la CFDT, CFTC, CFE-CGC et l’Unsa sont restés présents pour participer aux discussions. C’est à partir de leur présence active que peuvent s’initier les discussions. Mais que faut-il penser du résultat ? Si l’emploi était en priorité à l’ordre du jour, les résultats ne sont pas encore pour demain. Que doit-on pensez du dialogue social aujourd’hui et de ses acteurs aujourd’hui ? C’est Jacques Martineau que je me propose d’interroger sur le sujet.
André Leplus-Habeneck
Membre fondateur d’APROPOS
Que dire de l’efficacité du dialogue social actuel ?
Surtout lors d’une grande conférence sociale pour l’emploi, il ne peut y avoir de dialogue social efficace que si les différentes parties autour de la table des négociations sont suffisamment fortes et représentatives. Sans en assurer le succès, ce préalable garantit à lui seul l’amorce du processus. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. C’est pourquoi le dialogue social n’est pas prêt à s’engager sur le fond. Ceci ne signifie pas cependant qu’ici ou là, à l’occasion de consultations sur un projet de loi ou en cas de conflit majeur, une forme de dialogue permanent n’ait pas lieu. Mais je reste très sceptique quant au résultat sur les priorités sur l’emploi. A des degrés divers et pour des raisons qui leur sont propres, force est de constater aujourd’hui que ni l’Etat, ni le patronat, ni les syndicats de salariés, ne sont pas en position de force.
Source : AFP
Vous renvoyez tout le monde dos à dos, y compris le gouvernement, pourquoi ?
Il n’est pas inutile de faire un retour en arrière pour expliquer en partie les raisons de cette absence de dialogue et ce jeu entre le patronat et les syndicats de salariés. Depuis plus de deux ans, le nouveau pouvoir politique et sa majorité se trouvent face à une situation sociale et économique dont ils héritent et qu’ils jugent sévèrement en désignant un coupable de choix : la dette due à la crise et le précédent gouvernement. Il faut savoir que c’est la coutume... Les suppressions d’emplois et les plans sociaux continuent à se multiplier. Le nombre de licenciements économiques augmente. Le plafond psychologique des trois millions et demi de chômeurs est bientôt atteint. Malgré la volonté de dialogue social et la mise en place d’une conférence annuelle, la consultation est inefficace et la concertation n’existe pas.
Source : Reuters
Séminaires ministériels, rencontres et réunions à Matignon ou à l’Elysée des partenaires sociaux, ensemble ou à tour de rôle, participent au dialogue social. Mais ceux-ci continuent à se dérouler, au gré des besoins et des revendications, suivant un rite coutumier qui en limite la portée. Le gouvernement analyse l’ensemble de la situation, élabore et adopte des mesures techniques urgentes et des projets de lois, répondant autant aux besoins économiques immédiats du pays qu’au souci de satisfaire en priorité les élus de sa majorité. Le discours officiel se veut réaliste, mesuré et optimiste : le redressement de la France requiert du temps ; le délai nécessaire est fixé à cinq ans, parfois au delà de l’échéance électorale ; l’action s’inscrit dans la durée et la continuité ; le changement et les réformes aussi. Le message politique est toujours le même : il faut faire preuve de patience. L’ensemble des Français est résigné ou se désespère...
Croyez-vous en l’amélioration des perspectives en matière d’emploi ?
Les perspectives d’amélioration de l’emploi sont de plus en plus lointaines au fur et à mesure que le temps passe. Chaque mois voit reculer l’échéance d’inflexion de la courbe du chômage. Le débat parlementaire sur le pacte de responsabilité ne déclenche pas l’enthousiasme. Le doute s’installe quant à la pertinence des mesures proposées. La majorité elle-même s’interroge. La pérennité de la couverture sociale, le coût des retraites et l’indemnisation du chômage. Les acquis sociaux seront-ils remis en question ? Oui ? Non ? Officiellement ce sera non. Le débat est trop délicat et trop risqué pour être abordé et tranché aujourd’hui. Aucun cadre n’est défini, à chaque entreprise de négocier en fonction de son rapport de force. Tandis que nos gouvernants nous confirment en ce début d’année que le pire est derrière nous et que la croissance est sensée repartir, c’est maintenant le chômage des jeunes, la formation, l’apprentissage et l’insertion dans la vie active qui sont toujours au centre des préoccupations... Les trains de mesures succèdent aux trains de mesures quand la presse ne les qualifie pas de trains de demi-mesures. L’effet d’annonce bat son plein et chacun, suivant sa sensibilité, y va de son interprétation. La justification plus que l’explication est permanente
A vrai dire, je ne vois aujourd’hui aucune raison d’espérer à une amélioration pérenne de la situation en matière d’emploi. Il ne faut pas oublier que la France n’est pas seule. Austérité et chômage continuent à alimenter progressivement les perspectives de développement de l’Union Européenne et de la zone euro. Avec Jean-Claude Juncker, à la tête de la Commission, aux ordres de l’hégémonie germanique, avec les disparités fiscales, le dumping social et le conservatisme latent, non, il n’ y a aucune chance de retrouver le chemin de la croissance.
Mais comment pourrait-il en être autrement et quels sont les freins ?
Personne ne le sait plus. Près des trois quarts d’entre des Français se déclarent peu satisfaits ou insatisfaits de la façon dont le pays est gouverné. Ils sont pessimistes en matière d’emploi, considérant que les choses ont tendance à aller plus mal. Impôts, taxes et charges sociales sont excessives. Si trop d’impôts tue l’impôt. La course aux économies publiques, tous azimuts, coûte cher. Cette perception d’impuissance ou d’absence de volonté à agir sur le fond n’échappe plus à personne. Pour agir autrement, il faudrait favoriser un retour à l’activité. C’est de cela dont la France a besoin. Je l’ai dit à Matignon avec le gouvernement précédent avant la deuxième conférence sociale à Matignon. L’idée a été retenue. Mais elle est restée sans suite malgré un vif intérêt manifesté. Je l’ai écrit plus tard dans l’EMPLOI… C’est tout de suite ! En effet, c’est l’activité qui génère la croissance et non l’inverse. Malheureusement, le nouveau gouvernement n’en prend pas le chemin.
Source Nouvel Observateur
Certains dans la majorité affirment que le pacte de responsabilité et l’orientation sociale libérale du gouvernement est l’un des principaux freins à l’ouverture sur le fond du dialogue social. Pour ma part, je préfère de beaucoup me référer à un autre cactus incontournable, et celui-là plus factuel quelle que soit la couleur des majorités : le calendrier électoral. Aussi dans la perspective de la préparation des prochaines élections présidentielles en 2017, le premier ministre et le gouvernement, tout en ayant à se préoccuper en priorité des problèmes des Français, se doivent de ne rien faire qui puisse déranger la majorité et par-là même son électorat. La politique politicienne reprend l’avantage, en occupant l’ensemble du devant de la scène par médias interposés. Le climat frondeur dans la majorité et l’opposition, comme le développement des affaires sont venus limiter d’autant l’impact de l’action du gouvernement. Cet attentisme apparent, réel ou supposé, conforté par quelques résultats espérés sur l’emploi et en matière de stabilisation de la courbe du chômage, après deux ans et demi d’exercice du pouvoir, ne le crédibilise pas pour autant dans ses intentions en matière sociale.
Face aux enjeux du dialogue social, quelle est votre appréciation sur l’attitude du patronat ?
Après avoir montré un intérêt marqué pour l’entreprise, les Français ont évolué avec la crise, la multiplication des suppressions d’emplois et l’augmentation du taux de chômage. L’image d’une classe patronale monolithique, repliée sur elle-même, campée sur ses croyances et attachée à ses prérogatives s’est profondément modifiée au niveau des petites et moyennes entreprises, innovantes et performantes. Leurs patrons ont des idées et font des propositions. Ils parviennent malgré tout à faire évoluer leur propre image. Les besoins de financement avec l’appui des banques sont importants. Mais la solution ne doit pas se limiter à une politique de la main « tendue » vers l’Etat, en marginalisant les autres partenaires sociaux, surtout venant de la part des « grands groupes » et du Medef. Certes le poids des charges est là. Cependant chacun doit faire un pas l’un vers l’autre.
Source Les Echos.fr
Le dialogue social s’est enrichi de nouveaux mots. La flexibilité, synonyme de plus de souplesse et d’adaptation, est à l’honneur. La formation professionnelle, l’activité des seniors, les retraites, la pénibilité et le code du travail sont autant de sujets d’importance à revoir. C’est la fin de l’indexation des salaires dans le service public. La parcellisation de la négociation doit remplacer les grands accords interprofessionnels. Les partenaires sociaux seront à nouveau tous présents, quitte à ne pas rester aux tables de négociations. Ces approches ont pour but de favoriser un dialogue plus direct avec les salariés. Si dans l’ensemble le patronat intègre ces thèmes de réflexion dans sa démarche pour alimenter le dialogue social, des patrons de PME-PMI aux dirigeants des grandes entreprises, nombreux sont ceux qui ne sont pas prêts pas à les appliquer. Le discours change, pas les faits. On peut parler de tout. Il ne faut pas hésiter à aborder l’ensemble des points à l’ordre du jour du moment que l’on ne touche à rien ! Les objectifs, les contraintes et les intérêts des uns et des autres sont trop différents pour constituer un projet social. Ce qui faisait dire, il y a plus de vingt ans, au regretté André Bergeron (FO) « qu’il y avait de moins en moins de grain à moudre ». En apparence, l’opportunité de l’ouverture d’un profond dialogue social sur le fond n’a pas encore été saisie. Mais il aurait d’autant plus lieu et de chance de déboucher sur des accords, que si le syndicat était réellement représentatif du monde salarié [1]…
Interview de Jacques Martineau
Propos recueillis par André Leplus-Habeneck (APROPOS)