Qui en France serait capable de donner avec précision les limites de l’UE ? Pratiquement personne et surtout aucun politique, absent de cette préoccupation. C’est dans l’absence de cette « appropriation » individualisée de la « maison Europe » que réside le fond du problème devenu insoluble.
Les frontières naturelles géographiques sont en principe faciles à définir. Le rivage Atlantique de l’Europe est clair (après c’est l’Océan). La non-frontière Sud est un lac (méditerranéen) ouvert aux migrations qu’il faut craindre et donc surveiller, voire interdire. La frontière Balkanique est indéterminée. Les confins septentrionaux se perdent loin au-delà du cercle polaire Arctique. Quant aux frontières politiques quel sens leur donner ?
L’élargissement sans fin de l’UE vers le Sud-est était encore à l’ordre du jour…
Avec la sortie programmée du Royaume-Uni, aujourd’hui l’UE se compose de 27 pays dont 19 dans la zone euro. Dans le Sud-est de l’Europe, cinq États sont des « candidats officiels » à l’adhésion (Albanie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Turquie) et deux sont des « candidats potentiels » (Bosnie-Herzégovine et Kosovo). En comptant tous les candidats (officiels et potentiels). L’UE compterait alors 34 membres et plus de 600 millions d’habitants. Elle serait totalement ingouvernable sans modification radicale des structures de l’Union !
Les Balkans occidentaux à la porte de l’Union européenne – source : Le Figaro
Lors d’une réunion les 15-16 février 2018 sous présidence Bulgare, les États avait affirmé que l’adhésion des Balkans occidentaux (donc sans la Turquie) « était désormais une priorité ». Un processus de pré-adhésion existe avec un soutien financier. Si les candidats balkaniques attendent beaucoup de cette aide, la Turquie devrait encore en profiter de 6 Mds€ prévus dans le budget européen 2021-2027, pour une adhésion plus qu’improbable. Le problème de l’élargissement est posé « sur la table ». Quid de la suite ? Nul ne le sait. Et il n’en est rien. Les leaders s’opposent !
Un élargissement hypothétique mis en cause au niveau européen
La fracture est dans ce cas entre les populations et les élites « politique et médiatique » pro-européennes. Les opinions publiques des États de l’Ouest sont majoritairement opposées à cet élargissement vers des pays de plus en plus pauvres, gardant en mémoire la concurrence et les délocalisations causées par l’adhésion des pays de l’Est. Également, l’immigration grandissante en sera aussi le frein absolu.
En 2017, l’Albanie était déjà parmi les deux premiers pays d’origine des demandeurs d’asile en France pour des motifs économiques. Paradoxalement, les demandes d’asile en France ont explosé en 2018 de + 22%, alors qu’elles se réduisaient de -11% pour l’ensemble de l’Union. Elles sont principalement le fait de personnes originaires de Géorgie ou d’Albanie, qui arrivent en train ou en voiture car elles ont accès sans visa dans l’Espace européen. Une fois la durée légale de séjour passée, ces personnes deviennent des demandeurs d’asile et multiplient les recours administratifs avec l’aide des associations pour rester le plus longtemps possibles sur le territoire français. La gratuité des soins pour les longues ou graves maladies est dans ce cas le principal motif.
Migrants albanais et géorgiens affluent aujourd’hui dans l’UE – montage : clubespace21.fr
Reste aussi la spécificité de la Turquie qui affirmait encore récemment que l’adhésion était la seule option pour elle, en brandissant la menace de laisser les migrants franchir massivement la mer Égée ! La Turquie, membre de l’OTAN, est aujourd’hui à l’initiative d’un violent conflit armé avec les Kurdes avec l’implication des Russes et de la Syrie. On ne peut imaginer la poursuite de toute négociation concrète avec l’UE. Quant à l’Ukraine pro-européenne, la simple perspective d’adhésion ouvrirait un conflit majeur avec la Russie.
La tentation du « pas de vague » était de laisser les perspectives ouvertes de sommet en sommet européens, sans prendre le risque de toucher aux Traités actuels, pour la renégociation desquels il n’existe et n’existera jamais aucune unanimité.
Le Conseil européen du 17 octobre 2019
Le président du Conseil, Donald Tusk, a mis à l’ordre du jour de la réunion l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. La France, les Pays-Bas et le Danemark ont émis des réserves, le président français subordonnant toute adhésion ultérieure à une réforme en profondeur de la gouvernance européenne avant d’envisager une UE à 29, 30, 32 membres et autant de commissaires ! La chancelière allemande a indiqué sa « déception », le président de la Commission Jean-Claude Junker a dénoncé une « lourde erreur historique », le président du Conseil européen Donald Tusk a souligné qu’une « écrasante majorité des États membres était favorable ». Les pays de l’Est ont réagi violemment au veto français. Mais il faut l’unanimité des États…
Le Conseil européen à Bruxelles face au problème – source : LCI.fr
Quelles sont les raisons des États pour ou contre l’extension de l’UE ?
Allemagne. L’Allemagne qui reste Bismarckienne dans sa volonté de domination européenne, sinon militairement, mais en termes de population et d’économie, manque cruellement de main d’œuvre. L’extension de l’UE aux Balkans permettrait d’étendre les moyens humains à faibles coûts nécessaires à son industrie. Par ailleurs, le départ du Royaume-Uni laisse la France quasi seule face à l’hégémonie allemande.
France. Le chef de l’État a justifié sa position en indiquant que la finalité de l’Europe ne doit pas être de s’élargir à tout prix. « Elle ne marche pas déjà bien à 27, ça ne marchera pas mieux à 28, 30 ou 32 ». Mais le véto français a aussi un objectif de politique interne sur l’immigration, avec la crainte d’une arrivée massive en cas d’ouverture des frontières.
Les Pays-Bas (se désolidarisant pour une fois de l’Allemagne) et le Danemark, qui rencontrent une forte opposition de l’opinion publique sur l’immigration, ont soutenu la position française, sans se mettre en première ligne face à la colère des autres États.
La question sera encore abordée au sommet UE-Balkans du printemps 2020. La Croatie, prochaine présidente de l’UE, reprendra le dossier lors des prochains sommets en en faisant un thème prioritaire.
Il faut toutefois tenir compte de l’influence que pourrait exercer la Russie sur les « slaves du Sud – traduction du mot yougoslaves » s’ils étaient exclus durablement de l’Union. De toute façon, seules les perspectives d’adhésion peuvent garantir la stabilité ethnique de la région.
Au 31 octobre 2019, en conclusion de ce premier constat, l’Union européenne est encore à 28. Elle passera à 27 probablement en 2020. Mais il est clair, certainement pas à 32 !
Georges Seguin